Le Nomade stellaire : doit-on avoir peur de l’Intelligence Artificielle ? par Hector Loaiza

le-nomade-stellaire-vignetteOn publie la réponse de l’auteur du “Nomade Stellaire”, Hector LOAIZA, au compte-rendu de son livre fait ici : https://www.electropublication.net/le-nomade-stellaire-hector-loaiza-lharmattan-2017/



Dans la recension sur Le Nomade stellaire que le blog Electropublication (1) a récemment mise en ligne, l’auteur a une vision sombre sur l’origine d’Internet. Il est vrai qu’en 1958, en pleine « guerre froide », les autorités américaines ont eu besoin d’un nouveau réseau capable de garantir la communication entre les organismes de l’État, après une éventuelle attaque nucléaire. Le Département de la Défense a créé l’ARPA (Advanced Research Projet Agency), réunissant les meilleurs informaticiens, physiciens et mathématiciens pour concevoir un nouveau système de communication. Des jeunes informaticiens et mathématiciens, appartenant à la contre-culture des années 1960, ont inventé le premier réseau maillé d’ordinateurs reliés par des câbles d’électricité, l’ARPANET, réduit au début à quelques universités ou centres de recherche de la côte Est et la côte Ouest. Le réseau étant devenu immense, il s’ouvre au monde et se transforme en Internet. À la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, il forme un immense laboratoire où circulent les informations à la vitesse de la lumière, libre et gratuitement. Il représente un projet cognitif aussi important que l’Encyclopédie du Siècle des lumières.

Sur l’apport du spirituel aux technologies numériques, Le Nomade stellaire a sûrement reçu l’influence de mes lectures des années 1970. D’abord, La Gnose de Princeton, des savants à la recherche d’une religion (2) du philosophe français Raymond Ruyer (1902-1987) qui l’a écrit à la demande des astrophysiciens, des biologistes américains et étrangers de l’Université de Princeton, Pasadena (Los Angeles). Ruyer assistait à leurs réunions pour expliquer le besoin des scientifiques d’avoir recours aux philosophies orientales et aux anciennes religions pour mieux comprendre les phénomènes de l’astrophysique et de la mécanique quantique. En effet, ils cherchaient à mettre la science à l’endroit.

L’autre livre qui m’a marqué est Science et Conscience, les deux lectures de l’univers (3), l’anthologie des sujets proposés et discutés dans le Colloque de Cordoue, organisé par France-Culture en octobre 1979. Dans cet ouvrage des physiciens quantiques, des astrophysiciens, des neurologues, des psychologues et des historiens des religions ont exposé leurs travaux pour donner une conscience à la science. Autrement dit, pour éviter les dérives du progrès technologique en détriment de l’homme.

Il est étonnant que certains courants intellectuels en France s’opposent au progrès scientifique, celui de l’Intelligence Artificielle (IA). Ce courant est plus fort en Europe que dans les autres continents et parfois frise l’obscurantisme. Les détracteurs de l’IA utilisent souvent le concept d’aliénation de l’homme envers la machine de Marx au XIXe siècle et d’Heidegger au XXe siècle, méprisant la technologie, dont les idées ont eu une grande influence sur l’intelligentsia française de l’après-guerre.

On suggère que l’un des protagonistes, Aléa, soit identifié au transhumanisme de la Silicon Valley que d’aucuns voient d’une façon manichéenne comme une menace pour les humains. Une seul fois, le personnage féminin, Emma, appelle le vieil homme dans le roman avec ironie : « homme stochastique (4), profileur des mondes parallèles, homme prescient et transhumain » (page 345). C’est la seule fois où on emploie ce mot. Aléa n’est pas un transhumaniste. En plus, les recherches sur l’Intelligence Artificielle ne sont pas un monopole de la Singularity University de Google, mais les Centres de recherches de toutes les puissances s’y sont mis depuis longtemps. Certaines autocraties l’utilisent déjà pour surveiller leurs opposants ou leurs dissidents dans la version du Web qu’ils contrôlent.

Je crains qu’on n’ait pas bien lu la séquence des rapports d’Aléa et de la « machine pensante », produit de l’intelligence artificielle à la logique quaternaire. « …Aléa, cobaye volontaire — écrit l’auteur du résumé — de cette expérience (celle de puiser des informations dans l’esprit humain) ». Dans Le Nomade stellaire, le vieil homme a conçu théoriquement la « machine pensante » sur la base des informations obtenues au moyen de ses rêves prescients lui permettant de visiter le futur, et que les nanotechnologues et les informaticiens en sciences cognitives du groupe Orbis ont construit. Aléa ne joue pas un rôle passif, celui d’un cobaye, il est le seul à pouvoir transmettre ses pensées ou ses rêves à la « machine pensante ».

On y dit qu’Aléa se laisse implanter une sorte de prothèse neuronale dans le cerveau (page 226), ce qui est loin de la vérité : au début de ses expériences, il porte un casque pour transmettre ses pensées, ses rêves et ses visions prescientes au prototype d’ordinateur. Après il s’en passe de la dite prothèse. Dans un article publié récemment dans Le Monde, un neurologue explique son opposition à l’IA, soutenant que le fait de mettre des électrodes sur le cerveau d’un homme peut y provoquer des lésions graves. En l’état actuel des technologies numériques, il serait en effet impossible d’établir une Interface Homme Machine (IHM) subtile et sophistiquée pour relier le cerveau humain à un ordinateur fonctionnant avec la logique binaire.

Le moteur de recherche Google possède des bots numériques ou softbots, développés avec des algorithmes binaires, qui scannent les contenus du Web en permanence pour découvrir ce qu’il y a de nouveau. Mais ces bots, n’ont pas la faculté de « scanner les esprits » des internautes. Ils ne donnent qu’un facsimilé numérique du présent sur la base des messages, textes, photos, vidéos, audios mises en ligne ou échangés entre les usagers. Les bots de Google n’ont pas la faculté de déterminer quels mots ou quels concepts proviennent de l’inconscient d’un internaute ou de l’inconscient collectif d’un groupe.

On affirme dans la recension que « Aléa (…) met volontairement une technique spirituelle ancestrale au service de la technologie informatique et de l’intelligence artificielle (…) en pensant rendre le monde meilleur. » En lisant plus attentivement Le Nomade stellaire, on verra que les vieillards indiens de l’Arizona lui conseillent de s’informer sur les nouvelles technologies de l’hémisphère Nord afin de pouvoir rencontrer, si le hasard le permettait, Jean-Claude Garaud, PDG du groupe Orbis, devenu pacifiste et défenseur des causes humanistes. On voit dans cette allusion un préjugé manichéen contre la technologie numérique, circulant dans certains milieux intellectuels. Si Aléa est doué d’un don prescient, il l’utilise pour éviter un scénario catastrophe pour le monde afin de parvenir à son but spirituel.

Dans la mention au philosophe français du XXe siècle, Gilbert Simondon (1924-1989), le chroniqueur n’a pas précisé sa pensée. A l’opposé d’Heidegger, Simondon ne considère pas que la technique soit une aliénation ou une menace pour les humains. Il voit que le lien entre les hommes et les machines est inventif, spécifique et évolutif. Il conseille de ne pas encenser ni maudire le progrès et d’arrêter les polémiques stériles entre ennemis et partisans de la technologie. Dans notre ère numérique, cela parviendrait à en finir avec l’antagonisme entre défenseurs et détracteurs de l’Intelligence Artificielle. Loin des philosophies nihilistes qui voient les humains comme étant essentiellement « méchants », Aléa a confiance dans la nature profonde de l’homme et la femme qui réussiront à réguler la science et les nouvelles technologies en leur faveur et non contre eux.

 Notes

(1) https://www.electropublication.net/le-nomade-stellaire-hector-loaiza-lharmattan-2017

(2)La Gnose de Princeton, des savants à la recherche d’une religion, de Raymond Ruyer, Collection Évolutions, Fayard, Paris, 1975.

(3) Science et conscience, les deux lectures de l’univers, travaux du Colloque de Cordoue, organisé par France-Culture, Stock, Paris, 1980.

(4) L’homme stochastique de Robert Silverberg, collection Ailleurs et demain, Editions Robert Laffont, Paris, 1977.

 

Originally posted 2018-03-19 19:21:05.

1 Comment

  1. Author
    Je vous remercie de votre commentaire à mon compte-rendu, bien partiel, car votre ouvrage ne porte pas que sur la technologie de l’IA ou d’Internet.

    – Pour répondre à votre commentaire, je dirais que je n’ai pas vraiment une vision sombre de l’origine d’Internet, par contre aujourd’hui je suis plus circonspect quant à son orientation .
    Car depuis des années maintenant nombre d’analystes critiquent la main-mise des Géants de l’Internet (dont l’acronyme est GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon) sur l’accès et la diffusion de l’information. Ce sont leurs CGU ( Conditions Générales d’Utilisation) qui gèrent l’accès à l’internet de milliards de personnes aujourd’hui (voir Jérémy Rifkin « l’âge de l’accès » sur cette question). Des CGU qui, en plus d’émaner d’entreprises commerciales, sont culturellement liées aux pays d’origine de ces entreprises : les Etats-Unis d’Amérique. Ce qui pose aussi la question de l’uniformisation culturelle…
    En conséquence ces Géants de l’Internet ont multiplié les initiatives de contrôle et censure de l’infirmation ces dernières années : les exemples de suppressions de comptes et de pages sur Facebook sont légion; idem sur Twitter  ou Google.
    Sur Google c’est la centralité technique des algorithmes – qui classent, hiérarchisent l’information – dans le fonctionnement du moteur de recherche qui pose question : mettant en avant certaines informations, en occultant d’autres en les reléguant au fin fond des résultats de recherches. Ce qui les rend en conséquence inaccessibles à l’internaute. Sans compter que ces algorithmes sont facilement manipulables comme le fait l’action du SEO (référencement) .
    En fait si je devais parler de « l’Encyclopédie du Siècle des lumières » je penserais plutôt à l’encyplopédie en ligne Wikipedia dont cela semble être l’objet depuis l’origine mais qui la aussi a rencontré un certain nombre de complexités.

    – Merci pour les références à La Gnose de Princeton et au Colloque de Cordoue que je ne connaissais pas.

    – Les critiques sur l’IA en France me font penser au débat passionné qui eut lieu à l’aube des années 2000 entre « technophiles » et « technophobes » concernant l’avènement de l’Internet grand public en France…
    Bien sur les conférences sur la techniques d’Heidegger sont La référence dans les sciences humaines en France depuis des décennies pour avoir un angle critique sur la technique. Mais depuis les années 2000 les chercheurs du numérique ont redécouvert et mis en avant Simondon – comme vous le faites si bien dans votre commentaire – : je pense en particulier à la lecture remarquable qu’en fait le philosophe Bernard Stiegler dans ses travaux.
    Quant à moi, ma position sur le devenir du paradigme technologique dont Internet est la centralité est donc plutôt pessimiste et même radicale en fait, aussi je préfère me référer à des interprétations philosophiques plus restreintes comme celle de Jacques ELLUL qui a souligné « l’ambivalence de la technique » (elle amène une solution à un problème mais aussi génère à son tour un nouveau problème…) ou Paul Virilio avec sa notion de vitesse, d’accélération incontrôlée due au progrès technique et bien sur au remarquable travail effectué par Philippe Breton sur le développement de l’utopie cybernétique dans nos sociétés…

    – « Aléa n’est pas un transhumaniste » : très bien c’est moi qui l’avait interprété ainsi et j’avais bien compris que c’est bien un casque ou des capteurs frontaux qui lui étaient apposés. Par contre je n’ai toujours pas compris comment il transmet ses informations à la machine si « Après il s’en passe de la dite prothèse ». Ou alors est-ce que la machine était là seulement pour l’aider et le stimuler, pour qu’enfin il puisse évoluer tout seul en activant sa prescience des rêves comme et quand il veut ?
    Ce qui relancerait encore mon intérêt pour l’ouvrage et motiverait une 2eme lecture !

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