Selon le New York Times, certains logiciels professionnels s’inspirent désormais du jeu vidéo. Une constatation pas inattendue alors que la limite entre travail et jeu devient de plus en plus ténue, et que l’on reconnaît enfin aux joueurs des compétences désirables.
Complètement passé sous radar à l’époque de sa sortie, à la fin du mois de mai, un article du New York Times ( Software brings gamelike play to the workplace) s’intéressait néanmoins à un sujet intrigant : l’émergence de mécanismes directement hérités du jeu vidéo au sein de véritables logiciels professionnels. Le constat est simple, selon le journal : la plupart des citoyens américains âgés de moins de 35 “ont grandi avec le jeu vidéo” et le médium se glisserait dans nombre d’aspects de la vie de tous les jours, y compris donc au travail. Le New York Times s’intéresse ainsi à deux logiciels en particulier.
Rave est, à première vue, un simple gestionnaire clientèle et ventes. Mais le développeur, Entellium, y aurait intégré des sortes de “fiches personnages” pour chaque client, à la manière d’un RPG. Chaque vendeur peut en permanence comparer ses résultats à ceux des autres, en fait ni plus ni moins qu’un système de high-score. Et une série de checkpoints réguliers incite à la progression. Le client mail Attent, quant à lui, reprend le système de monnaie virtuelle utilisée dans la plupart des titres massivement multijoueur pour aider à classer les messages par ordre de priorité. En assignant à chaque email envoyé une valeur, exprimée en Serios, la “monnaie” du programme, chaque envoyeur “achète” en quelque sorte le temps de la personne réceptrice, qui peut alors récompenser ou non la pertinence du message avec un paiement de Serios à l’envoyeur.
Certes, la rencontre explicite du jeu vidéo avec le milieu de travail de date pas d’hier, ni même d’il y a un mois. Le phénomène des serious games (littéralement, “jeux sérieux”, des titres dont le but est avant tout d’éduquer) fait parler de lui depuis déjà des années. On pourrait citer l’armée américaine, qui utilise entre autres de véritables simulateurs de combat, parfois développés par des studios bien connus des joueurs (Pandemic, par exemple), pour l’entraînement de ses soldats. Toute une littérature sociologique s’est développée depuis 20 ans sur le sujet : Les serious games, dispositifs de communication persuasive ; La fabrique des “serious games”, etc.
Mais le point le plus intéressant que soulève l’article du New York Times est peut-être les relations de plus en plus ténues existant entre ces deux univers à priori imperméables. Le travail devient jeu, donc, mais le jeu peut lui aussi devenir travail. Qui n’a pas entendu, sur les serveurs ou les forums américains, la longue montée en niveau de World of Warcraft être qualifiée de “grind”, littéralement “corvée” en V.F. ? Qui n’a pas passé des heures sur des sites tels qu’Allakhazam pour tirer le profit maximum d’objets mis sur les enchères ? On citera enfin l’exemple de ce journaliste passionné d’EVE Online, qui confie souvent jouer aux côtés “d’un carnet de notes, d’une calculette et d’un second ordinateur montrant une feuille de calcul ou une page de forum.”
S’agit-il vraiment de travail, au sens légal et/ou éthique du terme ? Certains pensent que oui, surtout dès lors que le phénomène d’achat et de vente d’or virtuel étiquette une valeur bien réelle sur ces biens. Un article de Knowledge@Wharton, un département de l’université de Pennsylvanie, note ainsi que la notion de travail peut “tout simplement être définie comme l’acte de créer un bien tangible auquel d’autres vont trouver une valeur.” “Si je me décide à dépenser 20 dollars sur une armure magique, c’est tangible, estime Dan Hunter, professeur de droit à cette faculté. De plus en plus, ces univers deviennent des espaces de travail.”
Et bonne nouvelle pour les joueurs, ces compétences qu’ils acquièrent par le jeu devraient devenir de plus en plus recherchées par les employeurs selon le New York Times. Mais désormais, d’autres semblent convaincus. “Les compétences développées dans le jeu aident à résoudre des problèmes réels,” estime Jane McGonigal chercheuse et game designer, ajoutant que ses études montrent une capacité accrue à innover et à travailler en équipe chez les joueurs. John Beck, consultant, remarque lui que les joueurs seraient également plus loyaux aux sociétés pour lesquelles ils travaillent et suggère que ceux-ci seraient plus capables d’initiative car ils ont “typiquement grandi en analysant eux-mêmes les mécanismes de leurs jeux,” sans l’aide des adultes. Seul problème : les joueurs tendraient “à assimiler leurs patrons à des boss, des obstacles qu’il faut éliminer pour passer au niveau supérieur dans un jeu.” Pour finalement sauver la princesse ?
Tendre vers la gamification du monde…comme l’évoque Mathieu Triclot dans son essai Philosophie des jeux vidéo : “Les dispositifs connectés permettent de transposer les mécaniques du jeu à l’ensemble de la vie quotidienne.”
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